De la fourche à la fourchette: qui ne voudrait pas d’un marché en ville ?

Kiwi's Table
7 min readOct 6, 2018

Qui? Benjamin Barton, associé et chef de Scarecrow. Une anecdote : il a travaillé sur des yachts.
Pourquoi l’avons-nous rencontré? Inspiré par le concept des marchés européens, il a co-crée un restaurant/épicerie/fleuriste en plein cœur d’Auckland pour offrir des produits frais et locaux à ses habitants.
Quand? Octobre 2018

Comment Scarecrow a-t-il commencé ?

J’ai rencontré les propriétaires du lieu peu de temps après qu’ils l’aient acheté. Ils voulaient créer une entreprise dans l’alimentation. Ils venaient de déménager dans un appartement dans le centre d’Auckland et ne trouvaient pas la nourriture qu’ils recherchaient. Ils ont donc voulu créer un endroit où les gens pourraient acheter des produits frais et du pain.

Ensuite, nous avons réfléchi ensemble au concept du lieu. Je travaillais déjà dans le domaine de l’alimentation durable, et cela s’est beaucoup ressenti dans les idées que je leur ai soumises. Eux avaient vécu en France quelques années ; ils s’intéressaient au design et à la philosophie des lieux où l’on peut acheter quotidiennement du pain et des légumes. Nous voulions importer le shopping à l’européenne.

Quelle est votre philosophie aujourd’hui ?

Nous soutenons les producteurs en mettant en valeur ceux qui mènent des actions engagées. En tant que chef cuisinier, on prend du temps pour choisir les produits — mais une fois achetés, on les cache souvent dans des frigos ou des garde-manger. Nous, nous avons choisi de les exposer sur des étagères : si les gens aiment les ingrédients qui ont été utilisés dans le plat qu’ils dégustent, ils peuvent les acheter et refaire ce plat eux-mêmes !

Y’a-t-il beaucoup de lieu similaire aux alentours ?

Il n’y a pas vraiment de magasins bio ou locaux par ici. Il y a deux supermarchés, mais ils n’offrent pas de bonne expérience client. Nous, nous intéressons à l’expérience du client. Nous cherchons à importer le concept du marché en ville.

Les marchés ont-ils une place importante dans la culture néo-zélandaise ?

Marché d’Auckland

Pour l’instant, ils sont assez petits, mais ils se développent en été. Le week-end, nous aimons y aller et nous promener, pour acheter à manger — souvent des produits de saison. Mais la plupart des gens vont au supermarché une fois par semaine, et ensuite seulement complètent avec des produits du marché. Rien à voir avec les marchés européens où l’on peut acheter des produits frais plusieurs fois par semaine.

Tous vos produits sont-ils certifiés bio ?

Notre histoire est plus liée aux produits néo-zélandais qu’aux produits bio. Il y a des produits certifiés mais notre approche n’est pas extrémiste, donc certains ne le sont pas. Notre philosophie, c’est plutôt d’apprendre à connaître les producteurs et de faire en sorte qu’ils adoptent peu à peu des méthodes de production durables. Notre but ultime est de faire se rencontrer consommateurs et producteurs, pour que les clients puissent voir par eux-mêmes comment la nourriture est produite. C’est, selon moi, plus important que d’avoir un label. Et puis, certaines personnes ne sont pas encore prêtes à dépenser plus pour manger bio.

Est-ce plus cher de faire ses courses ici plutôt qu’au supermarché ?

Oui, les supermarchés achètent en grande quantité à leurs fournisseurs donc ils peuvent les revendre bien moins cher que nous.

Regardez ce qui arrive aux Etats-Unis : au cours de la dernière décennie, la consommation de produits bio a explosé. Après, il ne faut pas oublier qu’on risque de tomber dans le bio industrialisé. Il est possible que nous assistions à une légère amélioration dans les procédés de fabrication, mais encore loin des recommandations des mouvements biologiques. La prochaine étape est sûrement de dépasser la culture des entreprises uniquement motivées par le profit. Le bio est rentable donc il se répand. Même des grandes marques comme Walmart ont une section bio aujourd’hui.

Il est plus difficile de couvrir ses coûts sans se tourner vers des produits de saison. Le cas de l’avocat en Nouvelle-Zélande est un bon exemple : selon la saison, il peut coûter entre 1$ et 7$ pièce.

Pourquoi pensez-vous que les rayons bio en Nouvelle-Zélande et en Europe sont si différents ?

Le marché du bio est tout doucement en train d’être adopté par les grands distributeurs. Mais je pense que ça a à voir avec les volumes demandés aux fournisseurs. Par exemple, Countdown (un des trois distributeurs principaux) a des centaines de magasins ici : si un producteur travaille avec eux, il doit tous les fournir — or l’agriculture bio ne produit souvent pas assez pour cela. Mais il y a une chaine de magasins, Chantal Organics, où on peut trouver plus facilement des produits frais et bio. Malgré tout, la plupart de la production nationale est toujours majoritairement exportée. Les gens ont encore beaucoup de mal à comprendre les avantages de l’agriculture bio.

Avec combien de fournisseurs travaillez-vous ?

Je dirais que nous avons eu plus d’une centaine de fournisseurs différents pendant ces trois dernières années, depuis que nous avons ouvert. Au départ, nous essayions de travailler avec autant de producteurs que possible — mais plus il y en a, plus l’organisation est lourde et complexe. Nous en avons donc moins aujourd’hui : nous soutenons en priorité ceux qui prennent des initiatives intéressantes.

Comment les choisissez-vous ?

En fait ce sont les clients qui choisissent, en fonction des produits qu’ils achètent : si nous proposons un nouveau produit et qu’il se vend, parfait ! Sinon, nous en choisissons un autre. La nourriture est liée aux tendances, comme la mode : nous devons nous tenir au courant des nouveautés (sans gluten, vegan, végétarien…).

Certains produits viennent aussi de tout petits producteurs : ils utilisent des magasins comme le nôtre pour lancer leur marque, car ils préfèrent ce type de distribution aux supermarchés. Dans les supermarchés, ce genre de produits ne se vend pas très bien à cause du prix souvent élevé.

Pourquoi avez-vous décidé de proposer également des produits importés ?

Ne proposer que des produits locaux serait se limiter énormément. Par exemple, les olives ne poussent pas ici, de même que certaines épices qui s’associent pourtant parfaitement avec les aliments locaux. Or, je ne veux pas détruire la joie de la nourriture, je veux une cuisine potentiellement diversifiée. Cela me paraît normal de consommer des produits de saison. Cependant, on peut se priver de nombreuses expériences culinaires en ne mangeant que local.

On ne peut pas encourager les gens à l’extrémisme : je privilégie une approche modérée. Par exemple, les gens aiment manger de la viande, donc plutôt que de leur interdire d’en manger, je les encourage à tester des alternatives et à ne plus faire de la viande le centre de leur repas. J’admire beaucoup le travail de Michael Pollan dans ce domaine [cf le livre et documentaire « In Defense of food »]

Que faisiez-vous avant de travailler chez Scarecrow ?

J’étais chef cuisinier sur des yachts, puis dans des restaurants en Espagne, en France et aux Etats-Unis. J’ai aussi travaillé pour des particuliers.

Qu’est-ce qui vous a fait changer et vous engager dans l’alimentation durable ?

Sans doute les excès du style de vie dont j’étais témoin : travailler avec budget illimité, voir comment les gens considèrent la nourriture quand elle ne représente qu’une infime partie de leurs revenus… Le gâchis a fini par m’irriter : 70 personnes, 3 yachts, 2 avions et 9 résidences, sur le qui-vive juste au cas où le propriétaire viendrait en week-end. En tant que chef je faisais partie de tout ce système. Je cherchais quoi faire avec toute cette nourriture non consommée !

Avez-vous changé votre façon de manger depuis ?

Quand j’étais cuisinier, je ne mangeais pas très bien : je goutais des ingrédients toute la journée. Quand je rentrais chez moi j’oubliais de dîner ou je mangeais des toasts. Mais Scarecrow m’a incité à m’intéresser au régime végétarien, à la pêche durable…toutes ces choses qui semblent plus sensées d’un point de vue écologique.

Considérez-vous que la sensibilisation à l’alimentation durable fasse partie de votre travail ?

Je pense, oui. Quand je suis arrivé en Nouvelle-Zélande, j’étais très intéressé par les systèmes induits par l’alimentation durable. Je cherchais aussi à limiter le gaspillage alimentaire. Aujourd’hui, je suis toujours intéressé par les politiques alimentaires, les effets des aliments sur notre corps, le régime végétarien, les impacts de nos choix alimentaires.

Quel futur pour Scarecrow et l’alimentation durable ?

L’histoire de chaque produit sera de plus en plus importante, les gens aiment bien ça. Les marchés fermiers vont se multiplier en profitant de cette tendance. Les gens ont besoin d’avoir confiance en ce qu’ils mangent, et ils trouveront cette confiance dans les marchés alternatifs. Nous voulons offrir à nos clients cette expérience sociale qu’ils recherchent.

N’hésitez pas à aller faire un tour sur leur site ou de les suivre sur leur Instagram !

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