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Estampes japonaises : la collection Berès aux enchères

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Par Judith Benhamou

Publié le 20 sept. 2002 à 01:01

Voici un des effets tangibles de l'ouverture récente du marché de l'art français. Après l'annonce de la vente Giacometti par Christie's (« Les Echos week-end » du 6 septembre), Sotheby's proposera le 27 novembre la dispersion dans ses locaux parisiens d'une des plus importantes collections en mains privées d'estampes japonaises, celle de la marchande d'art moderne décédée en 1999, Huguette Berès. La capitale devient donc comme prévu une des plaques tournantes du marché de l'art mondial, animée par une riche actualité.

« Ah ! si j'avais encore quelques années à vivre, je voudrais écrire sur l'art japonais un livre dans le genre de celui que j'ai écrit sur l'art du XVIIIe siècle (...). Et ce livre, je le composerais de quatre études : une sur Hokusai, le rénovateur moderniste du vieil art japonais, une sur Outmamaro, le Watteau de là-bas, une sur Korin et une autre sur Ritzono, deux célèbres peintres et laqueurs. » Le 25 mai 1888, un des frères Goncourt confesse une fois de plus dans son journal son admiration pour la science des estampes japonaises. C'est justement en partie grâce aux écrits d'Edmond et de Jules de Goncourt que cette discipline ancienne suscitera l'intérêt en France, et même influencera la peinture contemporaine, entre autres de Vincent Van Gogh ou Claude Monet au tournant du siècle passé. Mais l'art et son marché fonctionnent aussi selon des modes, et rapidement ces gravures sur bois à l'apparence si « exotique » n'auront plus beaucoup de succès en Occident.

Dans les années 1950 une petite femme dynamique, ex-épouse d'un libraire de renom, décide d'en faire le commerce et la collection. Huguette Berès ouvre en 1952 une galerie sur le quai Voltaire, à Paris. « A ce moment-là, les estampes étaient vendues à Drouot par lots pour des sommes dérisoires. L'intelligence d'Huguette Berès a consisté à documenter ses trouvailles. Elle dénichait les estampes japonaises et retraçait leur histoire, leur provenance. Elle a réussi à redonner ses lettres de noblesse à la discipline », explique Tamio Ikeda, le marchand spécialiste de la question installé rue Saint-Sulpice, à Paris (1). En japonais, ces estampes sont qualifiées d'« ukiyo-e », « image du monde flottant », référence poétique non seulement à l'éphémère des thèmes traités _ les plaisirs, la beauté des courtisanes, les paysages ou les scènes de théâtre _, mais encore au fait qu'à l'époque de leur création ces papiers gravés étaient présentés dans les boutiques spécialisées pendus sur des fils. La période d'or de la discipline est celle des années 1760-1810 lorsque la technique de la gravure en plusieurs couleurs, complètement maîtrisée, fut utilisée par des maîtres particulièrement inventifs répondant à une demande de la société bourgeoise en pleine éclosion à Edo (ancien Tokyo) et Osaka.

Par la suite, les images conçues par les grands maîtres ont été reproduites à l'infini, d'abord pour la consommation occidentale puis, depuis les années 1970, pour un usage local destiné aux amateurs japonais curieux de la redécouverte de leur culture. Cette collection nécessite donc la connaissance d'aspects techniques incontournables _ qualité du papier, de la gravure, état de conservation _ pour l'identification de la qualité des pièces.

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Huguette Berès a assemblé la sienne selon un principe simple : des pièces toujours anciennes bien sûr et dans un état aussi parfait que possible. Les choix étaient guidés par une recherche esthétique plus qu'intellectuelle ou ethnologique. « Ma mère était fascinée par la beauté de ces oeuvres, par le soin apporté aux détails de la gravure et particulièrement par la grâce des personnages féminins, surtout ceux d'Utamarou. Elle s'est rapidement prise au jeu et a parfait sa collection jusque dans les années 1990 », raconte Annisabelle Berès, sa fille aujourd'hui à la tête de la galerie du quai Voltaire.

La vente organisée par Sotheby's est destinée à régler la succession entre les héritiers. Elle comprend une partie seulement des estampes de la collection personnelle _ et non du stock _ d'Huguette Berès. Constituée de 200 estampes, 50 livres et albums, plus quelques dessins, elle est estimée au total à près de 5 millions d'euros. Selon le marchand Tamio Ikeda, sur le marché mondial, les estampes les plus onéreuses _ qui constituent le gros de la collection Berès _ ont vu leur cote baisser dans les dernières années de 30 à 40 %. Le thème de l'estampe japonaise est un sujet moins en vogue aujourd'hui mais le patronyme de la propriétaire décédée devrait constituer un bon faire-valoir pour les lots les plus importants.

Parmi eux, on trouve par exemple une oeuvre rarissime du mystérieux Toshusai Sharaku. De cet artiste, on ne sait rien si ce n'est qu'il exerça entre 1794 et 1795 et qu'il est l'auteur d'un nombre restreint de gravures sur bois qui portent sur le thème du théâtre kabuki, réservé aux bourgeois (par opposition au théâtre nô réservé aux nobles). Dans celle présentée par Sotheby's est représenté Matsumato Yonesabuto, un homme qui, comme le veut la tradition, jouait le rôle d'une femme, courtisane à Edo. Un fond sombre, un kimono parme aux décors de formes géométriques. Les compositions de Sharaku toujours fortes et expressives sont d'une grande modernité. Celle-ci présente un détail qui témoigne de la qualité de l'épreuve : un fond micacé qui donne des effets moirés du fait de la poudre de coquillage dispersée sur le papier. Elle est estimée 100.000 euros. En 1995, à Drouot, deux estampes du même Sharakou avaient été cédées ensemble pour 1,4 million de francs (213.428 euros).

Mais l'estampe la plus chère de la vente, qui semblait aussi être la préférée d'Huguette Berès, est une épreuve signée Kitagawa Utamaro (1754-1806), une gravure joliment intitulée « L'Amour pensif ». Elle montre une jeune femme blafarde et gracieuse à la bouche rouge minuscule. Ses cheveux de jais prennent des formes de volutes retenues par une épingle en forme de fleur. La courtisane pensive tient sa tête. Ses petits doigts sont recroquevillés. Elle porte un double kimono à motifs de neige et d'oiseaux. Tous ces détails gracieux ont fait de cette image l'archétype de l'art d'Utamaro. La justification d'une estimation à 280.000 euros. En 1992 à Paris, une autre épreuve avait été adjugée pour le prix record de 2,5 millions de francs (3.081.123 euros).

Parmi les lots vedettes, la fameuse série complète des vues du mont Fuji par Hokusai (1760-1849) composée de 46 estampes est cédée en groupe pour une estimation de 1.400.000 euros. Reste que la collection Berès contient aussi des gravures anciennes à partir de 2.000 euros. Ce sont celles qui devraient être l'objet de la demande la plus faible.

JUDITH BENHAMOU-HUET

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